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🧠 Changer d’église sans le savoir

Comment nos récits pensent à notre place


I. On ne pense pas Ă  partir des faits, mais Ă  partir de soi

La plupart du temps, on ne pense pas : on rejoue son parcours.

Nos idées ne naissent pas dans un laboratoire mental, mais dans une histoire affective.

Je connais quelqu’un qui a tout traversĂ© : un drame, un manque, une quĂȘte.

Il a cherchĂ© refuge dans la religion : l’au-delĂ  lui offrait la promesse qu’on ne perd jamais tout.

Puis il s’est tournĂ© vers le complotisme : enfin un sens cachĂ© Ă  l’injustice du monde.

Et un jour, il est passĂ© Ă  la zĂ©tĂ©tique : « je ne crois plus qu’à ce qui est validĂ©, certifiĂ©, publiĂ© ».

À chaque Ă©tape, il avait l’impression d’avoir trouvĂ© la vĂ©ritĂ©.

Mais il n’a fait que changer de temple.

On parle souvent de « changer d’avis », alors qu’en rĂ©alitĂ©, on change de refuge.

Ce n’est pas un reproche : c’est humain.

La pensĂ©e sert d’abord Ă  nous protĂ©ger du chaos.

« Nos idées ne naissent pas dans un laboratoire mental, mais dans une histoire affective. »


II. L’humanitĂ© a besoin d’histoires pour tenir debout

Individuellement ou collectivement, on fait la mĂȘme chose.

AprÚs chaque crise, il faut un récit : une explication, un ennemi, un espoir.

Les peuples, comme les individus, ne vivent pas de faits : ils vivent d’histoires cohĂ©rentes.

Aujourd’hui, le rĂ©cit dominant, c’est l’Officiel.

L’Officiel, c’est cette voix qui dit : « voici ce qu’il faut croire, ce qu’il faut craindre, ce qu’il faut faire ».

Ce n’est pas forcĂ©ment faux ; c’est juste confortable.

Il permet de continuer Ă  fonctionner ensemble, mĂȘme quand plus rien n’a de sens.

Mais ce confort a un prix : il nous dispense de penser.

« Les peuples, comme les individus, ne vivent pas de faits : ils vivent d’histoires cohĂ©rentes. »


III. L’invention du consentement

Cette mĂ©canique n’est pas nouvelle.

Au XXᔉ siĂšcle, un homme l’a thĂ©orisĂ©e : Edward Bernays, petit-neveu de Freud, pĂšre des relations publiques.

Il a compris que les sociétés modernes se gouvernent non pas par la censure, mais par la suggestion.

En 1929, il fit défiler des femmes élégantes dans les rues de New York, cigarette à la main.

Les journaux titrĂšrent : Torches of Freedom — flambeaux de la libertĂ©.

En une matinĂ©e, fumer devint un symbole d’émancipation fĂ©minine.

C’était une opĂ©ration pour une marque de tabac.

MĂȘme procĂ©dĂ© pour la guerre : en 1917, Bernays participa Ă  la propagande amĂ©ricaine sous le slogan Make the world safe for democracy.

La formule est restée.

« On ne vend plus des produits ni des guerres : on vend des émotions cadrées. »

Depuis un siĂšcle, on ne vend plus des produits ni des guerres :

on vend des émotions cadrées.

Et plus le monde devient complexe, plus le rĂ©cit doit ĂȘtre simple.


IV. Le cercle de l’Officiel

Le cercle de l’Officiel n’a pas besoin de maütre.

Il tourne tout seul.

Les gouvernements signent avec les laboratoires ;

les laboratoires financent des études et des médias ;

les experts passent à la télévision ;

les journalistes reprennent leurs phrases ;

les plateformes filtrent ce qui dépasse ;

et le public, rassuré par la répétition, y voit une preuve.

« Ce n’est pas un complot : c’est une Ă©cologie du pouvoir. »

Ce n’est pas un complot : c’est une Ă©cologie du pouvoir.

Chaque acteur suit sa logique : gagner du temps, de la visibilité, ou simplement ne pas se faire virer.

Le rĂ©sultat, c’est une machine d’autovalidation.

Pendant le Covid, on l’a vue tourner Ă  plein rĂ©gime.

On nous a d’abord expliquĂ© que le pangolin Ă©tait coupable,

alors mĂȘme que la ville de Wuhan comptait plusieurs laboratoires P3 et P4 travaillant sur les coronavirus.

L’hypothĂšse du labo Ă©tait taboue ; elle ne l’est plus aujourd’hui.

Mais pendant deux ans, poser la question suffisait Ă  ĂȘtre cataloguĂ©.

Les masques étaient « inutiles », puis « indispensables ».

Les plateformes ont supprimé des publications sur ordre informel des autorités sanitaires ;

Mark Zuckerberg lui-mĂȘme l’a reconnu plus tard.

Et pendant ce temps, des cabinets de conseil comme McKinsey pilotaient des politiques publiques, payĂ©s par l’État qu’ils conseillaient.

Le serpent se mordait la queue, poliment.


V. La science, nouvelle Église

La science n’a pas besoin d’ĂȘtre adorĂ©e pour ĂȘtre vraie.

Mais elle l’est devenue.

La zĂ©tĂ©tique, au dĂ©part, Ă©tait une mĂ©thode d’hygiĂšne intellectuelle :

douter, tester, mesurer.

Aujourd’hui, une partie de ce courant fonctionne comme un service aprùs-vente de l’Officiel.

« On ne vérifie plus pour comprendre, on vérifie pour confirmer. »

On ne vérifie plus pour comprendre, on vérifie pour confirmer.

Des sites de « fact-checking » sont financés par des fonds publics,

des associations comme Conspiracy Watch reçoivent de l’argent du ministĂšre de l’IntĂ©rieur (fonds Marianne).

Le scepticisme devient institutionnel.

Le doute, oui. Mais à condition qu’il reste dans le cadre.

C’est ainsi qu’une mĂ©thode se transforme en croyance.

La religion du “preuve ou rien” remplace la religion du “Dieu l’a dit”.

MĂȘme structure, autre vocabulaire.


VI. Le poids de la culture hiérarchique

Pourquoi ce besoin d’obĂ©ir ?

L’anthropologue Emmanuel Todd l’a observĂ© : nos sociĂ©tĂ©s hĂ©ritent de leurs familles.

En France, la famille traditionnelle est hiérarchique : le pÚre décide, les enfants obéissent.

Ce schĂ©ma s’est transfĂ©rĂ© Ă  l’État : un grand pĂšre collectif qu’on critique, mais qu’on aime.

Dans un tel contexte, désobéir semble suspect.

On confond respect et soumission, autorité et vérité.

C’est aussi pour ça que les Français, tout en rñlant, finissent souvent par suivre.

« On confond respect et soumission, autorité et vérité. »

VII. Le retournement : la fierté du doute

Mais aprÚs des années de récits changeants, de mensonges avoués, de scandales étouffés,

le balancier a bougé.

Beaucoup se disent aujourd’hui : “on nous a trop pris pour des idiots”.

Le mot “complotiste” n’est plus une insulte, c’est presque une mĂ©daille.

On a vu émerger des médias alternatifs, des chaßnes indépendantes,

et une posture nouvelle : celle du sceptique triomphant.

“Si ĂȘtre complotiste, c’est juste poser des questions, alors je le suis.”

Mais souvent, ce doute devient un nouveau dogme.

« On ne croit plus Ă  l’Officiel, on croit Ă  son inverse. »

On ne croit plus à l’Officiel, on croit à son inverse.

La mĂ©canique reste la mĂȘme : besoin d’appartenance, besoin de certitude.


VIII. L’épuisement du rĂ©el

L’Officiel simplifie pour tenir, l’anti-Officiel s’indigne pour exister,

et au milieu, la rĂ©alitĂ© s’efface.

Les journalistes courent aprĂšs la vitesse,

les chercheurs aprĂšs les financements,

les citoyens aprĂšs des repĂšres stables.

Le systÚme ne manipule pas toujours : il est juste épuisé de complexité.

Et quand le réel devient illisible,

les rĂ©cits — tous les rĂ©cits — reprennent le pouvoir.

« Et quand le rĂ©el devient illisible, les rĂ©cits — tous les rĂ©cits — reprennent le pouvoir. »


IX. Sortir du cercle

Le vrai enjeu, ce n’est pas de choisir la “bonne” version du monde.

C’est d’apprendre à voir comment on pense.

Reconnaßtre que nos opinions sont façonnées par nos manques, nos appartenances, nos blessures.

Que nos certitudes sont des abris émotionnels.

Et que le doute, sans humilité, devient une autre prison.

RĂ©flĂ©chir, c’est se voir penser.

Savoir qu’on est biaisĂ©, c’est le dĂ©but de la libertĂ© — pas encore la fin.

Penser, c’est accepter de ne plus appartenir entiùrement à aucun camp.

C’est vivre sans mode d’emploi.

C’est ne pas fuir la complexitĂ© sous prĂ©texte de cohĂ©rence.

Changer d’église, ça ne sert Ă  rien si on garde le rĂ©flexe de croire.

Le but n’est pas de dĂ©truire les rĂ©cits, mais de les voir pour ce qu’ils sont :

des outils de survie.

Et parfois, la luciditĂ©, c’est juste ça :

ne plus confondre la vérité avec la chaleur du groupe.

« Et parfois, la luciditĂ©, c’est juste ça : ne plus confondre la vĂ©ritĂ© avec la chaleur du groupe. »