Quand la création devient communication
On juge une Ă©poque Ă son art. Alors que dit de nous un monde oĂč le vide se vend plus cher quâune idĂ©e ?
1. Lâart contemporain â Lâindustrie du trop-plein
Lâart contemporain est devenu une industrie du trop-dâargent.
Quand une banane scotchĂ©e sur un mur (Comedian, Maurizio Cattelan) sâest vendue 120 000 dollars, quand Jeff Koons Ă©coule ses ballons mĂ©talliques pour plus de 90 millions, ce nâest plus de lâart : câest un placement fiscal pour milliardaires.
Lâartiste nâest plus un voyant, mais un produit dâinvestissement.
Il vit de la spéculation et des subventions, pas de la création.
Lâart nâest plus un miroir du monde : câest un miroir sans tain, oĂč seuls les riches se regardent.
2. Les acteurs â Les sermons des CĂ©sar
Aux CĂ©sar, aux Oscars, sur les plateaux tĂ©lĂ© : toujours le mĂȘme rituel.
Entre deux films financĂ©s par le CNC (700 millions ⏠de budget annuel, prĂ©levĂ©s sur nos impĂŽts), lâacteur vient nous faire la morale.
ThÚmes obligatoires : patriarcat, climat, diversité.
Des causes légitimes, mais vidées de leur substance par le spectacle.
En 2020, Florence Foresti ouvre les CĂ©sar en annonçant : âJe sors ma pancarte, je suis en grĂšve.â
En 2021, Corinne Masiero se met nue sur scĂšne, couverte de faux sang, pour dĂ©noncer la prĂ©carité⊠tout en restant payĂ©e par le systĂšme quâelle prĂ©tend attaquer.
Ils jouent la rébellion comme on joue un rÎle : bien éclairés, bien payés, bien applaudis.
3. Les Ă©crivains â Lâusine Ă romans moralisants
Faute dâinspiration, une partie de lâĂ©dition recycle toujours les mĂȘmes recettes :
- indignation clé en main,
- psychologie de magazine,
- clichés politiques en guise de pensée.
Les jurys littéraires en raffolent : ça flatte les bons sentiments et rassure le lecteur.
On ne lit plus pour comprendre le monde, mais pour se rassurer dây penser comme tout le monde.
4. La musique â Lâusine Ă Ă©motions prĂ©fabriquĂ©es
Le top 50 français ressemble à un champ de clones.
Les refrains sortent dâalgorithmes, les voix dâautotune, les Ă©motions dâun cahier des charges.
En une heure, on peut fabriquer un âtubeâ parfait â mais sans Ăąme.
Et paradoxalement, dans les marges, il y a encore des artisans du son : des beatmakers, des petits producteurs, des gens qui créent sans calcul.
La diffĂ©rence entre eux et lâindustrie, câest la prĂ©sence. Lâun compose pour vendre, lâautre pour exister.
On dit que lâIA tue la musique.
Mais au moins, elle ne ment pas sur ce quâelle est.
Elle ne joue pas Ă ĂȘtre âauthentiqueâ.
Et parfois, elle Ă©crit des poĂ©sies quâaucune maison de disques ne laisserait naĂźtre.
5. Coup de gueule
Soyons clairs : ça me file la gerbe.
Pas parce quâune actrice se fout Ă poil aux CĂ©sar, mais parce que tout est faux.
DerriĂšre la mise en scĂšne pseudo-subversive, tout est tenu par lâĂtat, le CNC, les subventions.
Câest quoi ce punk Ă la sauce impĂŽts publics ?
On a fabriquĂ© une gĂ©nĂ©ration dâartistes fonctionnaires de la rĂ©bellion.
Ils vivent dâun systĂšme qui les nourrit, et en retour ils servent exactement ce quâil attend : des indignations calibrĂ©es, des postures morales sans risque.
Ce nâest pas la nuditĂ© de Masiero qui choque : câest son confort moral, payĂ© par ceux quâelle prĂ©tend dĂ©fendre.
Mais si lâart est malade, câest aussi parce que notre Ă©poque lâest.
Regardons comment lâart, depuis toujours, a Ă©tĂ© le thermomĂštre du monde.
6. Une brĂšve histoire de lâart â Du cri Ă la communication
Chaque Ă©poque a produit lâart quâelle mĂ©ritait.
Le classicisme glorifiait lâordre et la mesure du monde monarchique.
Le romantisme a chanté la liberté des ùmes et la souffrance du moi.
Le surréalisme a explosé sous la violence du siÚcle.
Le pop art a célébré la consommation triomphante.
Et puis, au milieu du XIXᔠsiÚcle, il y a eu les préraphaélites :
des artistes qui refusaient la mĂ©canique froide de lâĂšre industrielle,
et voulaient ramener la pureté, la sincérité et la beauté du geste.
Ils peignaient lâĂąme dans la matiĂšre, la poĂ©sie dans le rĂ©el.
LĂ oĂč lâart moderne vend du concept, eux cherchaient encore du sens.
Aujourdâhui, nous produisons des installations sans beautĂ©, des performances sans Ă©motion, des polĂ©miques sans profondeur.
Notre art ressemble Ă notre Ă©poque : saturĂ©, vaniteux (au sens dâimage creuse de soi), et vide sous ses nĂ©ons.
La beautĂ© nâa jamais eu besoin de subventions. Elle pousse mĂȘme dans les ruines.
7. Sartre et les suiveurs de mode
Ce travers nâest pas nouveau. Sartre, hĂ©ros mĂ©diatique de lâaprĂšs-guerre, a incarnĂ© lâengagement â mais aussi un suivisme idĂ©ologique :
- fascination pour lâURSS,
- indulgence pour Mao,
- soutien Ă des rĂ©gimes totalitaires sous prĂ©texte de âprogrĂšsâ.
Le drame de Sartre, ce nâest pas dâavoir eu tort : câest dâavoir eu lâair courageux en suivant le troupeau.
8. Les intellectuels en quĂȘte dâincarnation
Aujourdâhui, dâautres reprennent le flambeau du Bien.
Aymeric Caron, par exemple, enchaĂźne les causes comme des costumes : Palestine, animaux, culpabilitĂ© dâĂȘtre blanc.
Mais ce nâest pas de la pensĂ©e, câest du casting moral.
Ces figures cherchent moins Ă dĂ©fendre une cause quâĂ combler une absence.
Ils nâont plus de combat intĂ©rieur, alors ils sâen fabriquent un extĂ©rieur.
Câest une maniĂšre de dire : âRegardez, jâexiste, jâai mal pour les autres.â Une thĂ©rapie publique, pas une conviction.
Câest une quĂȘte existentielle dĂ©guisĂ©e en engagement.
Et cette prétendue empathie cache souvent un regard altéroclassé : celui de gens qui fantasment le peuple sans le connaßtre.
Ils parlent du monde ouvrier comme dâune espĂšce en voie de disparition â avec attendrissement, mais sans incarnation.
Et certains, comme Marina FoĂŻs, sâĂ©tonnent quâon ânâaccueille pas tous les migrantsâ.
Câest beau, la compassion⊠quand on vit dans un 100 mÂČ parisien.
9. Conclusion â Lâart comme cicatrice
Autrefois, lâartiste ou lâintellectuel devait ĂȘtre un voyant : ouvrir des brĂšches, dire lâindicible.
Aujourdâhui, trop souvent, il nâest plus quâun perroquet moral, applaudi pour sa conformitĂ©.
Lâart nâa pas besoin de morale. Lâart a besoin de vĂ©ritĂ©, de rugositĂ©, de zones grises.
Lâart sans courage, câest juste de la dĂ©co morale.
On nâa pas besoin de prophĂštes sponsorisĂ©s, ni de VRP du Bien.
On a besoin dâartistes lucides : capables de voir, de dire, et de crĂ©er au-delĂ des slogans.